INTERVIEW EXCLUSIVE : PRAJNA CHOWTA / PHILIPPE GAUTIER
A PARAITRE SUR LE PROCHAIN MAGAZINE "NOUVELLES DE L'INDE" / AMBASSADE DE L'INDE.
En version anglaise bientôt...
Prajna Chowta et Philippe Gautier étaient de passage à Paris, j'ai eu le plaisir de recueillir leurs propos.
En réfèrence au documentaire : Enfant d'éléphant diffusé sur France 5.
Une forêt du Sud de l’Inde parmi les éléphants. Cette enfance, elle la doit à sa mère, Prajna, qui a tout quitté pour retrouver une identité aux racines de sa culture, inspirée par l’histoire de Palakapya, un ermite de la mythologie indienne qui vivait avec les éléphants sauvages il y a 2500 ans. Aujourd’hui, Prajna est devenue une spécialiste reconnue de la réadaptation des éléphants captifs en milieu sauvage. L’obsession de Prajna est de transmettre à sa fille les valeurs simples de la nature qui l’ont guidée dans ses choix. Elle sait que l’environnement dans lequel elle l’a fait naître marquera son imaginaire, forgera son identité, mais son devoir de mère lui rappelle qu’elle doit aussi la préparer à affronter la société humaine. C’est ainsi qu’elle dédie à sa fille,Ojas, chaque instant de ces quelques années de sa petite enfance en tentant par tous les moyens de retarder le moment redouté où elles devront quitter la forêt pour retourner vers ce monde qu’elle avait choisi de quitter.
“The forest is my temple and the elephant is my god” Prajna Chowta
Prajna Chowta est née à Accra, au Ghana, où elle a passé son enfance. Après quelques années de pensionnat à Bangalore, elle part étudier l’ethnologie à la School of Oriental and African Studies, à l’université de Londres. Elle décide ensuite de rentrer en Inde, son pays d’origine, pour séjourner aux seins de tribus autochtones dans le but de découvrir la tradition de capture et de dressage des éléphants.
En 2000, elle crée la fondation Aane Mane (prononcer Aané Mané, qui signifie « la demeure des éléphants », en langue Kannada) et effectue des recherches sur les migrations d’éléphants sauvages entre la Birmanie et l’Inde.
En 2002, elle réintroduit des éléphants captifs dans une réserve du Karnataka avec le soutien du Ministère de l’Environnement et du Département des Forêts de cet état du sud de l’Inde.
Prajna suit ces éléphants quotidiennement pour étudier leur réadaptation en milieu sauvage. Parallèlement, elle forme des jeunes issus des tribus au travail avec les éléphants et met à jour les techniques traditionnelles en tenant compte des découvertes scientifiques les plus récentes pour tenter de résoudre les nouveaux enjeux auxquels les éléphants font face aujourd’hui.
Elle publie un livre « Elephant Code Book » en 2010 sur le management des éléphants en captivité, avec le soutien de l’Institut Scientifiques Indien et du Ministère de l’Environnement de l’Inde.
Philippe Gautier est né en Bretagne. Il a été assistant réalisateur de 1978 à 1995 sur des productions de toute nature (longs-métrages, documentaires, publicité, etc.) en France, en Europe et dans le monde.
En 1993, il assiste John Boorman, réalisateur de renom, pour une production qui lui fait découvrir l’Inde. Il s’y installe progressivement, écrit et réalise des films documentaires et de fiction pour des productions européennes et nord-américaines.
Vous formez un couple hors du commun, pour ainsi dire avec deux cultures opposées, mais comment vous êtes vous rencontrés ?
P.G : En 1993, lors d’un tournage de John Boorman en Inde, plus précisément en partance pour la Grande Bretagne, j’ai rencontré Prajna qui faisait ses études là-bas. Ce fut le vrai coup de foudre entre nous, nous avons décidé de nous revoir et de nous marier.
C’est quand même rare de voir une Indienne en Inde épouser un occidental, car tous les opposent ?!
P.C : Oui c’est rare, mais il y en a… Très peu.
P.G : Le mariage était nécessaire aussi pour le côté administratif, croyez-moi !
P.C : Mais j’ai choisi de rester Indienne, malgré tout !
« Enfant d’éléphant » diffusé le 29 décembre 2013 sur France 5 a marqué les téléspectateurs de cette chaîne. A quelle ode est dédiée « enfant d’éléphant » ?
P.C ET P.G :
On ignorait que ce titre est celui d’une nouvelle de Rudyard Kipling dans son recueil « Histoires Comme Ça ». En fait, l’idée du titre nous est venue du lapsus que nous faisons souvent dans nos conversations entre le mot « éléphant » et le mot « enfant ». Le film est évidemment inspiré de la longue expérience vécue avec les éléphants dans la jungle et les familles de mahouts qui vivent autour d’eux.
Que tire Ojas, votre fille, de cette expérience dans la jungle ? N’a-t-elle pas était privée des siens ? Des enfants de son âge ? Comment s’est passée l’initiation dans cet environnement ?
P.G ET P.C : Elle a sept ans maintenant. La version de 52 minutes est assez courte à mon sens, et d’ailleurs nous envisageons une autre version plus longue ou justement on montre davantage notre fille avec d’autres enfants. Elle a passé du temps dans la forêt, mais nous avons aussi pas mal circulé avec elle dès le début. Nous avons pensé qu’elle appendrait des choses simples dans cet environnement, toute petite. Maintenant elle est à l’école en Bretagne chez ses grands-parents. C’est aussi son choix personnel, un vrai tournant pour tous, mais heureusement, maintenant elle a trouvé sa place.
Votre association s’appelle Aane Mane, « la demeure de l’éléphant », d’où vient cette vocation, Prajna ?
P.C : En cherchant mes racines culturelles, je me suis intéressée aux tribus qui travaillent avec des éléphants. Peu à peu mon intérêt s’est déplacé vers l’animal lui-même. Bien que le tigre soit l’animal national, l’éléphant est emblématique depuis la civilisation de l’Indus.
Le rôle de l’association est-elle la préservation de l’héritage de cette faune ? Quelles sont les espèces menacées ? P.G : Après bien des projets, nous avons mis en place les premiers colliers GPS pour éléphants fabriqués en Inde, à moindre coût par rapport à ce qui est importé. Cela permet de donner beaucoup plus d’autonomie aux éléphants captifs qu’on peut relâcher dans leur habitat naturel. Ce système permet aussi de prédire et éviter les conflits entre les éléphants sauvages et les êtres humains. L’éléphant d’Asie est une espèce menacée, mais c’est aussi le cas des tigres, et bien d’autres espèces listées par la CITES (voir http://www.cites.org/eng/app/appendices.php)
Et que font les autorités indiennes pour ça ? Sont-elles sensibles à l’écologie ?
P.C : Elles y sont à 100%. Il y des lois sur la protection des éléphants, des avancées certaines. Sans même parler du braconnage qui est devenu rare en Inde, on ne peut plus vendre un éléphant, le transporter, ou le garder sans autorisation. Le véritable enjeu aujourd’hui, c’est la conservation de l’habitat des éléphants, des forêts qui lui permettent de vivre. Des réserves pour les éléphants et des lois pour leur protection existent depuis l’époque de Chandragupta Maurya, il y a 2500 ans. La conservation de la vie sauvage est profondément ancrée dans la culture. C’est un miracle que des espèces comme l’éléphant ou le tigre existent encore. De toute l’Asie, l’Inde possède la plus grande population d’éléphants sauvages (28.000).
Comment évaluez-vous la situation des éléphants d’ici 10 ans dans la péninsule indienne ?
P.G et P.C : Cela dépend des régions. Dans les grands parcs réputés, la législation pour la protection des éléphants est relativement bien respectée mais en dehors des parcs, l’espèce est sérieusement menacée.
En 2010, vous sortez le livre « Elephant Code Book » à qui est-il destiné réellement ? Y a t-il des codes que les mahouts ne respectent pas ou plus ?
P.C : C’est un livre technique destiné aux officiers des forêts, aux directeurs de zoos, aux activistes, et aussi aux mahouts, bien entendu. C’est pourquoi j’en ai fait faire une traduction en Kannada, afin qu’ils puissent le lire et l’utiliser dans leur travail.
Le métier de mahout existe depuis 4000 ans en Inde. Est-il en voie de disparation ?
P.G : Oui. Il y a de moins en moins de mahouts expérimentés en Inde et dans le reste de l’Asie. C’est une profession socialement dévaluée. Dans les régions où les forêts sont morcelées, où les conflits entre les éléphants sauvages et les habitants sont aigus, des captures sont inévitables et le nombre de mahouts insuffisant pour s’occuper de ces animaux. L’une des activités de la fondation Aane Mane est justement de former des jeunes gens, notamment issus de tribus, à cette profession. Plus d’une trentaine d’entre eux sont passé chez nous et un bon nombre travaille actuellement pour le Département des Forêts.
Néanmoins vos efforts sont-ils récompensés ?
P.G et P.C : Oui. On sent que nos efforts permettent de faire avancer les idées sur ces questions.
Quel symbole représente pour vous l’éléphant ? Votre amour, votre combat sont-ils patriotiques ? Vous sentez-vous profondément humaine ou animalière ?
P.C : “The forest is my temple and the elephant is my god” (la forêt est mon temple et l’éléphant est mon dieu), même si je ne suis pas croyante. Plus sérieusement, on peut dire que mon engagement, plutôt que combat, s’enracine dans ma culture, c’est certain ! En passant du temps avec des gens de tribu comme les Jénou Kurubas au Karnataka et dans d’autres régions aussi, je me se sens proche de mon pays, de mes racines culturelles.
Prajna et Philippe, vos souhaits pour 2014 ? Et vos projets à venir ?
Continuer le développement du système GPS pour éléphants, avec un peu de chance dans plusieurs régions. Et puis un nouveau livre et un autre film sont en préparation… On en reparle bientôt ?
Plus de précisions sur leur site de la fondation : http://www.aanemane.org/
Laurent Adicéam-Dixit